L’industrie forestière fut la première à se développer dans le canton. Il ne fait pas de doute qu’avant la venue de l’homme blanc, les peuples autochtones y ont fait la chasse et la pêche.
Sur les traces de M. Casselman viendront des colons qui s’établissent sur les premières concessions du sud du canton et qui cumulent les métiers de bûcheron et d’agriculteur. Leur mode de vie était assez simple. La répartition des jours de travail chez eux est facile à établir; bûcherons en hiver, défricheurs en été, chasseurs ou pêcheurs quand la saison le permet, et artisans les jours de pluie ou de mauvais temps. En effet, de solides bûcherons trouvent toujours à louer leurs bras en hiver. En été, il fallait bien défricher son lot et ensemencer l’avoine pour le bétail, le lin pour les vêtements et le blé pour l’alimentation. En tout temps, la chasse et la pêche sont d’un sérieux appoint pour l’alimentation. Enfin, la tonte des moutons, le tannage du cuir, la fabrication de «souliers de bœuf»ou de chandelles de suif, etc. sont des travaux qu’on réserve pour les jours où la température inclémente ne permet pas de travailler à l’extérieur.
Cependant, la majorité d’entre eux font vite de l’agriculture leur principale occupation, comme le révèle le recensement de 1861.
Il y eut aussi des menuisiers. Les Fortunat Bélanger, André Roy, Auguste Lapointe et Azarie Chartrand, qui de 1890 à 1898 sont tous portés aux registres paroissiaux comme menuisiers dans le village de St-Albert, mais ils ne furent sans doute pas les premiers à exercer ce métier dans la paroisse. Si le nombre des menuisiers d’alors nous semble aujourd’hui considérable, c’est qu’à cette époque l’absence de machines devait être compensée par la main-d’œuvre.
En 1890, aux mêmes registres, nous trouvons un cordonnier de 23 ans. Joseph Bélanger, peut-être le premier cordonnier de l’endroit ou, du moins, un des premiers. C’est en tout cas une indication que le «soulier de bœuf» cède graduellement la place à la chaussure de confection qu’on doit faire réparer par un homme de métier. La première boutique de forgeron du village a été bâtie par M. Léonard Lafleur en mai 1879. Puis en 1882, débute une autre petite industrie locale: la scierie à vapeur d’un nommé Leduc. Elle était sise sur le flanc de la petite coulée derrière le cimetière paroissial. Elle a fonctionné pendant huit ans. En 1890, après qu’elle fut devenue la propriété de Jean Baptiste Martin, elle fut détruite par le feu un samedi soir d’été. Avec la construction de la fromagerie du village vers 1890, commence une nouvelle phase de l’économie rurale de St-Albert et de la région; nous entrons dans l’ère de la production laitière et des produits connexes. C’est alors que les fermes de la paroisse vont commencer à donner leur plein rendement et s’avèrent les piliers de l’économie locale. L’établissement de fromageries dans le reste de la paroisse au tournant du siècle favorise le développement de l’industrie laitière. Pendant l’été on fabriquera du fromage, et pendant l’hiver on fabriquera du beurre de ferme ou bien on expédiera la crème aux crémeries de la ville. L’établissement d’une beurrerie à Casselman vers 1927 et la cueillette de la crème à domicile changera cette coutume: on ne fabriquera plus de beurre à la ferme, et on expédie plus rarement de la crème à la ville.
L’ouverture d’une crémerie par un nommé Smith à Station St-Albert en 1929 et la cueillette du lait à domicile furent des expériences nouvelles dans l’industrie laitière de l’endroit. La crème qu’il y obtient était expédiée à une entreprise américaine par le New York Central. Cette entreprise faisait inspecter tous les troupeaux laitiers qui alimentaient la crémerie. C’était une inspection assez sommaire : elle se limitait à prendre la température de l’animal et à examiner les trayons. Toutefois, on était sévère quant au traitement du lait et des ustensiles. Cette crémerie ne vendit son produit aux Américains que pendant quelques étés et fut vite convertie en fromagerie.
Étant donné sa position avantageuse sur la route Berwick-Casselman, Mayerville était déjà un hameau alors qu’il n’y avait qu’une chapelle à St-Albert quand celui-ci fut fondé en 1874. À Mayerville, il y avait un bureau de poste, deux magasins, une boutique de forgeron et une auberge. Ce hameau se trouvait sur la 9e concession est, au coin où la route tourne vers Casselman. En 1890 nous y trouvons M. Anthime Roy, forgeron-propriétaire; Mme Moïse Mayer, maîtresse de poste. On ignore s’il y avait encore un marchand. Il n’y avait plus d’hôtel. La construction de l’église de St-Albert à trois milles à l’ouest de Mayerville, l’abandon graduel de la route Berwick-Casselman comme artère commerciale après l’avènement du chemin de fer Canada-Atlantique et la position centrale du village naissant de St-Albert furent autant d’événements qui diminuèrent l’importance de Mayerville.
Comme c’est le cas pour la plupart des centres canadiens-français, c’est autour du clocher que prit naissance le village de St-Albert. Après la construction de la première chapelle-presbytère, c’est l’ouverture d’un premier magasin, un mois après l’établissement d’un forgeron qui marqua le commencement de la vie économique dans le centre de la paroisse. Vers 1885, M. Francis Champagne (de Lafrenière) construisait un magasin pour le compte de M. Xavier Quesnel. Ce magasin était transformé en auberge dès l’année suivante.
En 1898, il y a deux forgerons : MM. François-Xavier Meilleur, sur le lot 18, Xe concession, et George Whissell au centre du village. Le bureau de poste du village de St-Albert fut ouvert le 1er août 1874, deux ans après celui de Mayerville. Le courrier fut d’abord apporté de Finch par un M. Goulet, qui faisait le service Finch-Crysler-St-Albert-Mayerville-Casselman en 1879, et ceci jusqu’à la construction du chemin de fer Canada-Atlantique en 1882. Puis, ce fut M. Jean-Baptiste Carrière de Crysler qui alla recueillir le courrier à Casselman pour les bureaux de poste de Mayerville, de St-Albert et de Crysler.
Quoique le terrain de St-Albert fut fertile, les commencements furent pénibles parce que le manque de moyens de communication et l’éloignement des marchés entravent le progrès. La construction d’un chemin de fer, dont le besoin était urgent, créa cependant quelque froid entre le curé et ses paroissiens. En effet, la construction du chemin de fer Canada-Atlantique fit beaucoup de bruit dans la paroisse à cette époque. Le curé et certaines personnes influentes souhaitaient la chose, (ils souhaitaient également que le tracé du chemin de fer passe par St-Albert, alors le village le plus développé du canton) tandis qu’un groupe de colons s’y opposaient. Dès qu’il en fut question, M. Martin Casselman, maire de Cambridge, voulut s’assurer que le chemin de fer traversait non seulement le canton mais qu’il passait chez lui à Casselman Falls (Casselman). Il proposa donc que la municipalité vote quelques milliers de dollars pour aider à la réalisation de ce projet qui devait bénéficier à tout le canton. Mais ce vieux propriétaire de 10,000 acres de terre était impopulaire et aussitôt on se mit à crier de toutes parts : «C’est encore une trigauderie, une ruse, un mensonge du vieux Casselman.» Le curé Philion affirma: Ces braves gens oubliaient qu’en plus de favoriser le développement du canton, ce chemin de fer procura au moment même de sa construction de beaux revenus pour qui voudrait y travailler.
L’aide municipale sera quand même votée et pendant encore quelque temps on tiendra un peu rancune au curé Philion qui, en homme progressif, avait favorisé la chose. Le chemin de fer Canada-Atlantique sera construit en 1882 et une gare sera placée à Casselman.
C’est vers 1910-1911 que la Glasgow Telephone Company construisit la première ligne téléphonique à St-Albert. Le tableau de distribution se trouvait à Crysler et seul le village fut favorisé par ce service. Peu d’années après, un embranchement fut construit jusqu’en campagne. En 1925, grâce à l’initiative du curé de la paroisse, le téléphone connut une vogue qui devait durer jusqu’à la crise économique. Il pénétra dans la majorité des maisons et le tableau de distribution fut installé dans le village même, chez M. Mathias Lavergne.
Jusqu’à ce que l’on puisse se prévaloir des services de l’Hydro-Electric Power Commission en 1930, l’église, le presbytère, le couvent, l’école, la maison du sacristain, et même, pendant quelque temps, certains particuliers furent éclairés à l’électricité par l’unité thermique qu’avait achetée M. le curé Vital Pilon. Avant l’emploi de ce système, l’église avait été éclairée à la lampe à pétrole, puis au gaz. En août 1930, avec l’inauguration du nouveau service provincial, disparurent de l’église lampes à pétrole et becs à gaz qu’on avait négligé d’enlever. Une ère était révolue. En même temps que l’église, tout le village jusqu’à Crysler était doté d’un service moderne d’électricité. Un petit nombre de fermiers s’en prévalurent. Mais en 1939, on procéda à la construction de lignes électriques sur presque toute la longueur des deux principaux rangs de la paroisse, et la majorité des paroissiens profitèrent de l’occasion pour électrifier leurs fermes. La guerre vint suspendre ce beau travail de modernisation. Mais, dès que la situation le permit, le mouvement d’électrification est repris avec vigueur.
Certes, depuis toujours, plusieurs entreprises ont pignon sur rue dans le village; toutefois, notre campagne en cache un bon nombre qu’il ne faut pas oublier pour leur apport économique, leur dynamisme et la richesse de la diversité qu’elles apportent au profil économique de St-Albert. Autrefois, le village était caractérisé par son magasin général où on retrouvait toute une diversité de produits et services: épicerie, ferronnerie, huile à lampe, charbon, vêtements, chaussures, tissu à la verge, laine, médicaments. Aussi, fallait-il apporter sa cruche pour avoir de la mélasse ou de l’huile à lampe par exemple.
Roger Cayer, St-Albert, 125 ans de vie, 1999, p.16 à 24 et p.151 à 180
Voici en photos quelques commerces de St-Albert à travers les époques: